Je n'ai appris l'information que le week-end dernier, suite à un article publié dans Libération relayé par la liste Discothécaires, mais elle avait été mise sur la place publique par un communiqué du syndicat SUPAP-FSU et il y avait eu notamment auparavant un article du Monde sur le sujet : la mairie de Paris a décidé de censurer de fait Perdu d'avance, le premier album du rapper Orelsan, en interdisant sa mise en rayons dans ses bibliothèques de prêt.
Il est à noter que, si un titre en particulier d'Orelsan a suscité une polémique ce printemps, il ne fait l'objet d'aucune décision judiciaire ou réglementaire le condamnant personnellement ou restreignant la diffusion du disque, mais la mairie de Paris a quand même souhaité "éviter qu’un public mineur ou non averti soit confronté à l’écoute de morceaux de musique dont les textes insultent les homosexuels et glorifient la violence faite aux femmes".
En agissant ainsi, en imposant ses propres critères moraux à son réseau de bibliothèques et donc à sa population, la municipalité parisienne agit strictement comme certaines mairies dirigées par le Front national ont pu le faire dans les années 1990.
A l'époque, la profession dans son ensemble avait fortement réagi, avec le soutien du ministère de la culture, et avait tenté de se doter d'outils pour réagir à de telles velléités des tutelles. On en retrouve la trace sur le site de l'Association des Bibliothécaires français, avec le document Les bibliothèques face aux pressions politiques : Quelques outils et le dossier judicieusement intitulé Acquisitions et bibliothèques de service public. Car, dans ce type de situation, la source du problème est presque toujours à trouver dans le fait que la tutelle politique, au lieu de se contenter de son rôle qui est de fixer les objectifs de sa politique culturelle, d'attribuer les moyens correspondant et d'évaluer les résultats, se met à vouloir faire le métier des bibliothécaires à leur place.
On imagine mal un adjoint au maire chargé de la voirie s'emparer d'un sécateur pour tailler des arbustes, ou un adjoint chargé de la petite enfance accueillir les enfant à la crèche le matin. Et bien, Christophe Girard, l'adjoint au maire de Paris chargé de la culture, qui semble être à l'origine de la décision concernant Orelsan, s'imagine lui sans problème gérer la politique d'acquisition de ses bibliothèques à la place des agents qui en ont la charge.
Pourtant, dans un réseau de cette taille, la politique documentaire est formalisée et les acquisitions font l'objet d'un travail collectif poussé. La preuve en est, le document de travail de la commission reggae/rap de mars 2009 qu'on trouve sur le site de la Ville de Paris, qui avait abouti à la décision d'achat du CD d'Orelsan, sur la base notamment de chroniques parues dans la presse spécialisée.
Vue de l'extérieur, la politique de lecture publique de la Ville de Paris ces dernières années se résume maintenant, d'une part à l'application extrême d'un principe de précaution sanitaire concernant le déploiement des réseauw wi-fi et des services associés dans ses bibliothèques, et d'autre part à cet acte de censure ridicule et méprisant, aussi bien pour le public que pour les bibliothécaires. Belle réussite ! Espérons que la municipalité aura au moins l'intelligence de revenir sur cette décision. Et si le disque d'Orelsan dérange vraiment Christophe Girard, qu'il porte l'action en justice...
A lire sur sujet : Les lundis de Delfeil de Ton dans Le Nouvel Observateur de la semaine du 11 juin.
Il est à noter que, si un titre en particulier d'Orelsan a suscité une polémique ce printemps, il ne fait l'objet d'aucune décision judiciaire ou réglementaire le condamnant personnellement ou restreignant la diffusion du disque, mais la mairie de Paris a quand même souhaité "éviter qu’un public mineur ou non averti soit confronté à l’écoute de morceaux de musique dont les textes insultent les homosexuels et glorifient la violence faite aux femmes".
En agissant ainsi, en imposant ses propres critères moraux à son réseau de bibliothèques et donc à sa population, la municipalité parisienne agit strictement comme certaines mairies dirigées par le Front national ont pu le faire dans les années 1990.
A l'époque, la profession dans son ensemble avait fortement réagi, avec le soutien du ministère de la culture, et avait tenté de se doter d'outils pour réagir à de telles velléités des tutelles. On en retrouve la trace sur le site de l'Association des Bibliothécaires français, avec le document Les bibliothèques face aux pressions politiques : Quelques outils et le dossier judicieusement intitulé Acquisitions et bibliothèques de service public. Car, dans ce type de situation, la source du problème est presque toujours à trouver dans le fait que la tutelle politique, au lieu de se contenter de son rôle qui est de fixer les objectifs de sa politique culturelle, d'attribuer les moyens correspondant et d'évaluer les résultats, se met à vouloir faire le métier des bibliothécaires à leur place.
On imagine mal un adjoint au maire chargé de la voirie s'emparer d'un sécateur pour tailler des arbustes, ou un adjoint chargé de la petite enfance accueillir les enfant à la crèche le matin. Et bien, Christophe Girard, l'adjoint au maire de Paris chargé de la culture, qui semble être à l'origine de la décision concernant Orelsan, s'imagine lui sans problème gérer la politique d'acquisition de ses bibliothèques à la place des agents qui en ont la charge.
Pourtant, dans un réseau de cette taille, la politique documentaire est formalisée et les acquisitions font l'objet d'un travail collectif poussé. La preuve en est, le document de travail de la commission reggae/rap de mars 2009 qu'on trouve sur le site de la Ville de Paris, qui avait abouti à la décision d'achat du CD d'Orelsan, sur la base notamment de chroniques parues dans la presse spécialisée.
Vue de l'extérieur, la politique de lecture publique de la Ville de Paris ces dernières années se résume maintenant, d'une part à l'application extrême d'un principe de précaution sanitaire concernant le déploiement des réseauw wi-fi et des services associés dans ses bibliothèques, et d'autre part à cet acte de censure ridicule et méprisant, aussi bien pour le public que pour les bibliothécaires. Belle réussite ! Espérons que la municipalité aura au moins l'intelligence de revenir sur cette décision. Et si le disque d'Orelsan dérange vraiment Christophe Girard, qu'il porte l'action en justice...
A lire sur sujet : Les lundis de Delfeil de Ton dans Le Nouvel Observateur de la semaine du 11 juin.
14 commentaires:
Mais que fait donc l'ABF sur ce dossier ? On attend des réponses !
Merci pour cet article !
Faits du prince, comportements autoritaires et à géométrie variable restent une constante de nombreux hommes politiques. Ce n'est en tous cas pas une victoire de la pensée,mais une nouvelle illustration affligeante, navrante.Ph
Léo,
L'ABF a diffusé hier sur le blog de son congrès une motion sur la liberté d'expression liée à l'affaire Tarnac et à des faits remontant à avril-mai. Je ne doute pas que nos instances nationales prendront prochainement position sur cette affaire de Paris.
Depuis le début je soutiens ORELSAN Et la liberté d'expression à fond !!! C'est un scandale ... écoeurant. Surtout que ce rappeur à un talent fou, malgré la polémique qu'il a pu susciter. ORELSAN "La seule équipe de Caen qui marque à l'extérieur" !!!
Représente notre génération désabusée...
Léo,
L'ABF a bel et bien voté une motion à ce sujet lors de son AG du 12 juin (publiée le 17, je suis tombé dessus grâce à la fameuse "Revue de presse, revue de blogs" de Mediamus).
Merci JC j'ai vu la motion (qui a son opposante !).
Léo
Bonjour,
Votre assimilation d’une décision sur un cas précis - rappeur Orelsan - et toute une politique foncièrement xénophobe – Front national – est tout juste pathétique. Vous défendez l’idée que bibliothèque = public, mais vous méprisez toute une partie de la population qui en a assez du marketing agressif de certains artistes qui se font un nom en méprisant les autres. Etes-vous homosexuel ? Une femme ?
Si au moins, vous étiez précis sur cette affaire. La municipalité a interdit la mise en rayon du disque, mais pas imposé son éviction totale : il y a un exemplaire disponible en accès indirect (Site 75018 - Clignancourt Discothèque : 2 ORE 90). Alors, ce n’est pas la politique documentaire des bibliothécaires qui a été méprisée, mais les conditions de prêt qui ont été redéfinies, ce qui est franchement distinct. N’est-il pas ?
En outre, vous semblez découvrir que les bibliothèques municipales sont dirigées en sous main par les pouvoirs en place. Quelle affaire neuve ! Ne croyez-vous pas que les bibliothécaires, même s’ils se réunissent auparavant, n’appliquent pas une politique orientée par leurs goûts, leurs préférences, leurs appartenances ? Lorsqu’un bibliothécaire jette une lumière sur une œuvre, n’est-il pas prescripteur ? Combien d’œuvres décidez-vous d’éluder au nom de votre « morale » - euh, pardon, de votre fameuse politique documentaire - ? Les bibliothécaires seraient-ils les derniers prêtres de la culture ou sont-ils les derniers apôtres de l’ego surdimensionné ?
Enfin, lorsque vous utilisez le mécanisme archaïque du bouc-émissaire, vous jouez exactement le même jeu que vous critiquez. Quoi de neuf ? Rien. Le politique prescrit, le bibliothécaire prescrit, et c’est ce qui arrive quand, sous couvert de politique juste, on verse à un moralisme on ne peut plus détestable.
Merci
L1dompté
L1dompté,
Relisez le billet. A aucun moment je n'assimile la politique de la Ville de Paris à celle d'une municipalité Front National. Simplement, je suis bien obligé de constater, à regret, que la (mauvaise) méthode employée est strictement la même dans les deux cas : les élus municipaux s'appuient sur des critères politiques ou moraux (mais pas juridiques) pour, d'un seul coup, tenter de faire le travail des bibliothécaires à leur place, au mépris du rôle de chacun et de la déontologie de notre métier.
Pour ce qui est de la précision de mon propos, sachez que je me suis notamment appuyé sur l'article de Libération sur lequel j'ai fait un lien, qui cite entre guillemets un communiqué de Christophe Girard (non publié sur le site de Paris, à ma connaissance) : "La Mairie a en effet décidé de ne pas donner accès à ce disque au sein de son réseau de bibliothèques". Après, jouez sur les mots (ou sur les exemplaires en accès indirects tant que vous voulez, mais il me semble que le sens de cette phrase est dénué d'ambiguité.
Pour le reste, je vous laisse la responsabilité de vos propos. Quant au moralisme on ne peut plus détestable, j'ai ma petite idée de chez qui on a le plus de chances de le trouver.
Bonsoir,
Je suis stupéfait par votre réponse. Vous dites « la municipalité parisienne agit strictement comme certaines mairies dirigées par le Front national ont pu le faire dans les années 1990. » « Agir strictement comme » n’est pas une assimilation, dites-vous ? Et c’est moi qui joue sur les mots… Bref.
Vous en avez après la mairie de Paris à propos de cette décision. Ce que vous oubliez de dire est que l’affaire commence le 18 mars (Express.fr), lorsque des bloggeuses alertent la Secrétaire d’Etat au sujet des paroles d’Orelsan, dont je n’ose imaginer que vous remettiez en cause la violence envers les femmes. Ensuite, le 1er avril, Dailymotion et Youtube restreignent l’accès à la consultation du titre « Sale pute » – identification et vérification de majorité -. La municipalité parisienne a-t-elle fait autre chose en restreignant à son tour l’accès à ce disque ? C’est donc le public qui a alerté le politique, et a demandé qu’il réagisse. Pour une fois que le politique écoute ses électeurs, vous y voyez de la censure. Formidable ! Encore plus formidable est le fait que vous méprisiez toutes ces femmes qui se sont senties blessées dans leur chair par ce « buzz » marketing. Votre voix de bibliothécaire compte plus que la leur, dirait-on. Les femmes ne participent pas de votre public elles-aussi ? Alors Bibliothèque = public, ou publics ?
Au reste, une loi va être discutée sous l’impulsion de Valérie Létard (Le Post 01/04), qui constate que « De toute évidence, les filtres appliqués quand il s'agit de pédopornographie, d'incitation à la haine raciale et d'homophobie ne sont pas applicables à l'appel au viol et au meurtre envers les femmes ! » Très sincèrement, c’est une bonne initiative, tant le sexisme et le paternalisme sont devenus irrespirables.
Vous faites bien de me laisser à mon propos, ceci vous permet de ne pas répondre du vôtre, très cher bloggeur. Autant vous dire que ceux qui placent l’art au-dessus du respect d’autrui me révulsent. La liberté d’expression est devenue un étendard fallacieux pour que certains déversent leur fiel tout en s’abritant derrière le paravent de l’artiste ou du bien-pensant.
Merci pour votre leçon d’intelligence sociale, et bravo.
L1dompté
L1dompté,
Je vous cite : "ceux qui placent l’art au-dessus du respect d’autrui me révulsent. La liberté d’expression est devenue un étendard fallacieux...".
Vous êtes donc contre la liberté artistique et contre la liberté d'expression quand ceux qui en usent vous déplaisent. Pour ma part, en démocrate républicain, je suis pour la liberté artistique et pour la liberté d'expression, dans le respect des lois et règlements en vigueur.
Et, comme vous le laissez entendre, le disque d'Orelsan (qui de plus ne contient pas la chanson à laquelle vous faites référence) ne tombe pas sous le coup de la loi, jusqu'à preuve du contraire.
Ha ben quand même ! Vous finissez par préciser que la chanson incriminée ne figure pas sur le disque !
Je trouve un peu léger de résumer la politique de la ville au retrait de ce disque et au wifi...
Doit-on mettre en réserve (en d'autres temps on appelait ça l'enfer;) Houellebecq ou Sollers sous prétexte que leur discours déplait à certain (moi y compris !) ? Je ne parle même pas des MCs.
Doit on imposer nos choix au lecteurs ? "Ça c'est bien, ça, c'est le mal".
Ça va loin...
El Tonito,
Je n'avais pas précisé avant que la fameuse chanson n'était pas sur le disque parce que en fait ça ne change rien pour moi : c'est la méthode en elle-même qui est critiquable.
"Doit on imposer nos choix au lecteurs ?" : les bibliothécaires doivent éviter d'imposer leurs propres goûts, mais ils doivent constamment faire des choix car leur budget n'est pas extensible et parce qu'une bibliothèque propose à son public une offre d'information dite "raisonnée" dans le cadre de sa "politique documentaire".
J'ai volontairement caricaturé en résumant la politique de la lecture de Paris à Orelsan et au Wi-Fi, mais de mon point vue de provincial, ce sont bien les deux faits saillants que j'ai retenus ces dernières années.
L'affaire continue :
http://www.liberation.fr/societe/0101577750-francofolies-orelsan-deprogramme-un-acte-de-censure
Léo
« La Ville de Paris jouit d’un prestige culturel qui lui impose d’être exemplaire. Ce CD reçu par la médiathèque n’enfreint aucune loi et aucun juge n’a été saisi de son contenu. Il ne peut donc être retiré : la censure des textes évoque irrésistiblement les pratiques de municipalités d’une toute autre couleur politique. Chacun d’entre nous a ses convictions, ses goûts, et juger pour les autres est toujours particulièrement dangereux."
extrait de :
http://www.actualitte.com/actualite/11801-ligue-droits-homme-Orelsan-censure.htm
Léo
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