La première fois que j'ai parlé à mes collègues de proposer au public d'emprunter un bibliothécaire, que ce soit à l'ENSSIB, à Nancy ou à Reims, ils ont d'abord cru que je galégeais. Il y avait certes sûrement un peu de provocation dans mon propos, mais sur le fond je pense que c'est un service qu'il faut sérieusement envisager de mettre en place. D'ailleurs, ça doit commencer à rentrer dans les esprits puisque Jean-Charles en a mentionné le besoin en plaisantant dans un entretien à la presse.
Reste que je pense vraiment que c'est une piste à creuser.
Si l'on considère comme moi que le rôle d'une bibliothèque publique est au sens large de fournir un accès à l'information, en constituant des collections, en les mettant à la disposition du public et en fournissant un ensemble de services pour rendre possible et faciliter cet accès. Si l'on considère également que les bibliothécaires sont des professionnels de l'information, parfaitement à même de la traquer, de la traiter, de l'évaluer, de la mettre en forme et de la diffuser, alors on est en droit de regretter que trop souvent les bibliothécaires mettent en avant uniquement leurs collections, confinent leur propre rôle à la gestion de ces collections et oublient trop souvent que leurs compétences professionnelles pourraient directement être utiles à leur public dans sa recherche d'information. En résumé, un bon conseil est parfois bien plus efficace qu'un bon livre...!
Bien sûr, je force le trait. Il y a au moins deux activités dans lesquelles les compétences informationnelles des bibliothécaires sont utilisées directement au profit du public : les services de référence et la formation des usagers, même si, dans les deux cas, l'impact de ces services peut être limité par une restriction aux collections de la bibliothèque ou à l'explication d'une démarche.
Il me semble bien que l'intérêt de la mise en place d'un prêt de bibliothécaire serait double :
on mettrait en avant les compétences des bibliothécaires à la disposition des usagers tout en renversant la communication auprès du public en mettant en avant la fourniture d'un service d'information. Le prêt de document, les usagers savent ce que c'est et ils associent très fortement cette activité aux bibliothèques. Le prêt de bibliothécaire, c'est une offre qui risquerait de leur parler beaucoup plus qu'un service de renseignement ou une offre de formation.
Mais comment ça pourrait se passer un prêt de bibliothécaire et à quoi ça pourrait bien servir ?
On l'a compris, un prêt de bibliothécaire, ce serait la mise à la disposition d'un usager, pendant un temps donné, d'un bibliothécaire avec tout son bagage de connaissances pures, de techniques de recherche et de gestion de l'information, de connaissance des nouvelles technologies.
Un prêt de bibliothécaire ce serait, dans un cadre fixé par une charte, une liberté donnée à l'usager pour fixer le programme d'un entretien documentaire : faire une recherche, trier des informations, les mettre en forme, savoir utiliser un logiciel, faire le point des connaissances sur un sujet, créer un blog, s'inscrire à un service d'information, faire des démarches en ligne...
Même si, évidemment, un très grand nombre de bibliothèques françaises propose des entretiens de référence sur rendez-vous ou des séances de formations individuelles, je n'ai pas trouvé par une recherche empirique de service dont la communication tournerait autour de l'idée "d'emprunter un bibliothécaire".
Ce type de service existe pourtant de par le monde, notamment en Finlande, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, avec deux types d'option :
- le prêt sur place pour le public au sens large de la bibliothèque
- le prêt à domicile (au bureau ou dans le laboratoire) réservé au personnel des universités pour les BU
Quelques liens à ce sujet :
A propos du service de la bibliothèque publique de San Francisco, chez Le bibliothécaire errant et dans le Marlene's corner.
En Finlande, les offres des bibliothèques de Bibban, Vantaa, et Espoo pour tous les usagers.
Au Royaume-Uni, les offres des bibliothèques de l'Institute of Education de Londres et de l'Université de Worcester, réservées au personnel.
PS : Avec l'illustration ci-dessus, j'ai forcé le côté provoc en grossissant le trait du parallèle entre le bibliothécaire et le document. Quand on sait la difficulté de beaucoup de nos collègues à accepter d'être identifié par le public, on imagine que, même les accros du catalogage ne sont pas prêts d'accepter de créer une notice à leur nom ! N'empêche, l'affichage des compétences des bibliothécaires à la disposition du public est un sujet connexe que j'ai prévu d'aborder ici de longue date...
16 commentaires:
Je pense que ce genre d'idée est plutôt de la communication autour de services qu'on propose souvent déjà, non?
En tout cas c'est une idée de génie. Je vois déjà les affiches partout dans ma BU... "plutôt que d'emprunter des livres, empruntez carrément le bibliothécaire!" ;-)
Phelly,
C'est exactement ça que j'ai essayé d'exprimer dans le billet : ce n'est pas entièrement nouveau, c'est plutôt une amplification de choses existantes, mais avec un angle de communication qui serait, je pense, très efficace auprès des usagers.
Tout à fait d'accord pour tenter l'expérience d'être "empruntée"...
;-)
En réaction, un billet sur Klog : http://klog.hautetfort.com/archive/2009/02/10/les-bib-docs.html
Excellent !
Bravo la campagne de pub est déjà faite, pas besoin d'une agence de com !
Ce ne serait pas un peu piqué à la campagne de la BU d'Angers ? ;-))
Olivier
Au départ je comprenais pas trop cette "blague" mais à la fin du billet mon sentiment est que cela n'est pas bête du tout. Parce qu'il faut bien "évoluer" en quittant l'arrière-boutique de nos cages aux livres, ou nos sièges derrière les comptoirs de prêt. Et puis quoi de plus génial que de montrer à l'usager que nous pouvons lui être indispensable dans sa quête informationnelle en lui prodiguant des compétences informationnelles. Je crois que là on se rapproche plus du concept "Information literacy". Quoiqu'il en soit cela supposera que l'on revoit nos rapports avec l'usager et que nous soyons bien formés pour bien affronter cette éventuelle nouvelle proximité avec lui et un état de marchandise. Alors question : qui va élaborer la stratégie marketing pour bien nous distribuer ? :-)
Olivier,
Je n'ai pas particulièrement pensé à la campagne de com d'Angers pour l'enquête Libqual, car les bibliothécaires n'étaient pas associés à un document. Sinon, j'aurais détourné leur slogan pour en faire "Vous préféreriez un bouquin ?".
Louisar,
Effectivement, la formation des bibliothécaires est essentielle pour un tel service. Mais, plus les collègues participent aux activités de renseignement et de formation des usagers, plus c'est facile.
Ensuite, il faudrait communiquer pour "vendre" le service aux usagers, mais je pense que ça marcherait presque tout seul...
Heu... ce qui est prêté, ce n'est pas un bibliothécaire (comme on prêterait un livre) : c'est un service. De même que la Fnac ne "vend" pas d'informaticiens, la BU de Reims prêtera les services d'une partie de son personnel.
Il y a déjà eu des tentatives (peut-être pas en France, quoique, mes souvenirs ne sont plus très bon. Faudrait que j'emprunte un peu de mémoire...) de "prêt" de personnes (un tzigane, un chômeur, un banquier...), mais il me semble que la démarche est radicalement différentes (à titre personnel, pour ce que j'en avais vu, ça dégoulinait de bons sentiments)
Donc, si l'objectif est de favoriser une bibliothèque "hors les murs", à travers des interventions ponctuelles ou régulières de bibliothécaires chez des particuliers, ou dans des UFR, on est quand même loin de l'idée de génie (ou alors, il s'agit d'une idée marketing de génie, comme le soulignait phelly): aller montrer comment fonctionne une base de données à un enseignant ou à un thésard médecine, comme le pratique le scd de Lille 2, n'est-ce pas déjà cela ? Le tout serait de systématiser, de généraliser cette démarche. A titre personnel, je suis pour.
Mais bon, je vais faire un peu le râleur de service, mais je ne suis pas sûr que l'idée de pouvoir être "empruntée" enchante tant de collègues que ça (prenez une photo et faite le montage avec le code-barre sur l'avant-bras. Voyez ce que je veux dire ?).
En outre, ce type de service personnalisé coûte extrêmement cher. Il faut voir, en termes de services rendus, quel public est touché, et quel est le gain pour la collectivité.
MxSz
MxSz,
Quand on prête un livre, on prête un livre, mais surtout l'information qu'il contient.
Quand on prête un bibliothécaire, on prête bien un bibliothécaire, mais effectivement on propose un service en mettant une partie de ses compétences et de ses connaissances à la disposition d'un usager.
Il me semble que je n'ai pas caché dans mon billet que l'idée n'est pas en soi novatrice, mais qu'elle aurait effectivement de grandes chances d'être efficace côté marketing du service.
Je viens de lancer ça http://bfs.ujf-grenoble.fr/files/7ee7c9c79296ab20e4efdaf02f7630c4/empruntez_gael.pdf
Service proposé aux enseignants-chercheurs et aux doctorants (dans un premier temps), pour les sensibiliser et les aider (si si ils ont besoin de nous...) à l'usage de la documentation numérique.
"Home-made" flyer (réalisé avec Scribus), envoyé par courrier "classique" à chacun des intéressés.
Gaël,
Bravo !
Ça me parait tout à fait dans l'esprit de ce que j'évoquais ici.
Je serai curieux de connaître la réponse à cette proposition d'ici quelques mois...
Vu sur le nombril de Belle Beille !
http://tacheau.wordpress.com/2009/03/08/cest-dimanche-7/
;-)))
Olivier
Eh eh, merci Olivier, j'étais passé à côté de celui-là !
Il me semble que ce prêt de bibliothécaire va au-delà du simple coup marketing : cela permet de remettre le personnel de bibliothèque au centre du métier. Trop souvent, nous nous cachons derrière le lieu "bibliothèque" et passons sous silence le fait qu'il existe des "bibliothécaires" avec une formation, des compétences (si, si) : "la bibliothèque vous informe, la bibliothèque vous propose, etc.". La bibliothèque n'existe pas : ce sont les bibliothécaires qui la font exister. Le prêt de bibliothécaires serait donc une synthèse percutante du rôle des bibliothécaires. Je vote pour !
En tout état de cause, je préfère être "empruntée" qu'"ouverte" : "vous êtes ouverte jusqu'à quelle heure ?" "jeune homme, vous m'êtes sympathique mais pas jusque-là..."
Marie
Marie,
Eh oui, une blbiothèque ce n'est pas seulement un lieu, des collections et des services, c'est aussi des bibliothécaires !
La mise en avant des compétences particulières des bibliothécaires est un sujet auquel je réfléchis depuis un moment, même si pour l'instant il n'en est rien de sorti de concret.
Sans parler des cartes de "super librarian", il y a plein d'exemples où les connaissances et l'expérience des bibliothécaires sont affichés pour le public : untel est bilingue, un autre a une licence de droit, un troisième a été prof d'histoire, un autre encore est spécialisé dans l'informatique documentaire... Tout ça n'apparait pas quand on se contente d'afficher le titre du poste occupé...
Dans son n°226 de juillet-août 2009, Archimag publie une tribune qui reprend la teneur des propos de ce billet.
Lire la tribune en ligne.
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