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mardi 30 septembre 2008

Que seront nos discothèques de prêt devenues ?


Avec mon ami Pol, je fréquente de longue date les sections musiques des bibliothèques, depuis l'emprunt de 33 tours à l'ancienne bibliothèque de Châlons-sur-Marne, avec vérification de l'état de la cellule du tourne-disques à l'inscription, jusqu'aux emprunts de CDs et de livres et à la participation aux animations de l'Espace Musique de la Médiathèque d'Epernay.
Evidemment, en tant qu'amateur de musique je ne peux que m'interroger sur l'avenir des sections musique de nos médiathèques au vu de l'évolution récente des modes de diffusion et de consommation de la musique enregistrée.
Les disquaires indépendants ont déjà presque tous disparu et il est évident que les médiathèques sont ou seront également affectées par la marginalisation progressive du CD qui, contrairement au passage du vinyl au disque compact ne sera pas relayé par un nouveau support vendu individuellement, mais par des offres de vente ou d'abonnement de titres sous forme de fichier informatique.
Les bibliothèques françaises sont particulièrement concernées par cette révolution car, contrairement à ce qui a pu se passer dans d'autres pays, elles se sont vraiment développées pour la plupart autour du concept de discothèques de prêt. Ce n'est qu'au fil du temps que leur offre s'est élargie, avec des livres et des revues spécialisées, des partitions, des documents audiovisuels, et que les discothécaires sont devenus des bibliothécaires musicaux qui, depuis plusieurs années déjà, consacrent une bonne partie des rencontres nationales de leur asssociation ACIM aux réflexions sur l'évolution de leur offre et de leur métier. Ces sujets ont également été abordés notamment dans le dossier Musiques d'un numéro du BBF de 2002 et, parmi beaucoup d'autres rencontres de ce type, le seront également la semaine prochaine lors de la journée d'étude sur le thème Demain, la musique en bibliothèque organisée le 9 octobre à la Bibliothèque Buffon de Paris.
Le défi auquel se trouvent confrontées les sections Musique des bibliothèques est très bien résumé dans le commentaire de Xavier Galaup au message du blog Bibliothèque 2.0 sur Deezer et les bibliothèques musicales :
"Les bibliothèques musicales ont un rôle à jouer de:
- mise en perspective des musiques et des artistes
- faire découvrir la musique sous toute ses formes
- offrir un accès stable et à des fichiers de bonne qualité
- être un lieu, parmi d’autres, de sociabilité autour de la musique"

Hors le contexte précis de ce message (remplacer "fichiers" par "collection" pour couvrir tous les supports), cela résume parfaitement le projet idéal des bibliothèques musicales confrontées à la quasi-disparition prochaine de l'activité de prêt de phonogrammes : être en ville, après la disparition des disquaires spécialisés qui, pour les meilleurs jouaient souvent ce rôle, le lieu où l'on peut s'informer, échanger, se cultiver sur tous les aspects de la culture musicale, dans un contexte pour de service public, hors de tout échange commercial.
Car il n'est pas sûr du tout que la fourniture de musique sous forme de fichiers pourra supplanter le prêt de disques. Là où la vente de disques se faisait à l'unité, le prêt se faisait également à l'unité, à un coût bien moindre que l'achat pour le lecteur, qui pouvait ainsi découvrir et éventuellement en faire une copie pour son usage privé. Mais le modèle économique de l'offre de musique à télécharger, même sans licence globale, risque fort de ne pas se stabiliser sur le modèle de la vente à l'unité, mais plutôt de l'accès contre un prix fixe (abonnement) à une offre très large se comptant en centaines de milliers d'oeuvres. Autrement dit, la collection pensée, raisonnée, organisée que pourraient proposer les bibliothèques musicales risque fort de se retrouver incluse dans l'offre plus large à laquelle les particuliers pourront s'inscrire.
Est-ce à dire que que les bibliothèques musicales sont condamnées au déclin ou à la disparition ? J'espère bien que non ! Elles risquent fort de connaître un changement d'échelle et une mutation profonde de leur activité si le prêt tend à diminuer très fortement dans les prochaines années. Mais, dans la mesure où l'écoute de musique est l'un des loisirs culturels les plus pratiqués par les français de tous âges et où la pratique musicale en amateur est l'une des activités artistiques les plus répandues (je ne suis pas allé relire les enquêtes sur les pratiques culturelles, mais je ne pense pas trop me tromper), il est évident qu'une activité spécialisée sur la musique a sa place en bibliothèque.
Pour y faire quoi si ce n'est pas prioritairement pour prêter des disques ? Tout ce que décrivait Xavier Galaup plus haut, c'est à dire proposer dans un contexte de service public, hors de toute transaction commerciale, des informations et des ressources sur la culture musicale au sens large.
Pour prendre un exemple, si on lit dans une chronique de disque que Coldplay est produit par Brian Eno et qu'on ne connait rien de Brian Eno, on peut d'ores et déjà si on est curieux et habile avec sa souris, en savoir beaucoup sur son parcours d'artiste, producteur et penseur du rock, et écouter des extraits musicaux correspondants, mais dans la plupart des villes de France, la section musique d'une bibliothèque est le seul lieu où on peut échanger sur un tel sujet et découvrir en détails, disques, revues ou livres à l'appui, ses activités au sein de Roxy Music, en solo avec la musique ambiante ou ses disques chantés des années 1970, ses productions pour U2, mais aussi Talking Heads, Devo et Ultravox!, sees collaborations avec David Byrne, Robert Fripp ou Jon Hassel, ses théories comme les stratégies obliques,...
Outre les explorations et expérimentations sur la fourniture de musique sur support numérique, les pistes à explorer sont nombreuses pour les bibliothèques musicales :
  • être conscient de la valeur des collections de CDs qui ont été constituées et ne pas les laisser être dilapidées lors de l'obsolescence progressive de ce support, comme cela s'est trop souvent passé pour les microsillons;
  • travailler à fournir une information et un commentaire sur la musique et son actualité en complément des collections proposées, comme le fait par exemple le site Mediamus des bibliothécaires musicaux de Dole;
  • développer une offre pour tous ceux qui ont une pratique instrumentale amateur, souvent très peu concernés par l'offre des écoles de musique et conservatoires : on trouve souvent dans les discothèques des partitions, mais quid des méthodes d'(auto-)apprentissage, imprimées ou audiovisuelles, des revues spécialisées (Batteur Magazine, Guitar Part, Bassiste Magazine, etc.), voire même des animations sur ce thème ?
En tout cas, j'espère profiter encore longtemps d'une offre variée et stimulante dans les bibliothèques musicales que je fréquente, et oui, même si je n'en ai pas parlé, je suis bien conscient que la question se pose à peu près dans les mêmes termes pour les sections audiovisuel qui, après avoir prêté des cassettes vidéo, se concentrent actuellement sur le prêt de DVD.

10 commentaires:

Sophie Bib a dit…

Peut être faudrait-il envisager non seulement de conserver les supports comme vous l'indiquez (voire même de remettre les vinyles en circulation ? ;-) afin de diversifier l'offre et agglomérer ce qu'on appelle des publics de niches ?
Mais aussi, envisager dans les évolutions possibles de notre profession (et à terme, tous supports confondus) une présence dans la bibliothèque mais aussi sur la toile ? En se positionnant comme prescripteur, médiateur pour aider les usagers à se retrouver dans la masse d'informations (la fameuse infobésité ;-)
On est quelques uns aussi à avoir l'idée d'une collection commune numérique ou l'on trouverait des raretés, des plus édités... une collection disponible en ligne telle une bibliothèque virtuelle...
Hé oui ! ça nous arrive encore de rêver et d'espérer comme vous ;-)

Anonyme a dit…

Bonjour JC :

Juste en passant :

A Reims un nouveau disquaire indépendant a ouvert depuis quelques mois... Underground...;-)))

http://www.myspace.com/undergroundreims
et aussi

http://www.vitrinesdereims.com/-Underground-Disquaire-

Tout n'est pas perdu ! Je pense que le CD va évoluer et non disparaître : il sera (et il est) moins cher, plus "design" et mieux fourni (un vrai bel objet !)...

Quant aux bibliothèques elles se doivent de mettre en avant leur fonds, et cela passe notamment par des chroniques, venues d'artistes...

Un métier qui évolue...

Bonne journée
Olivier

Anonyme a dit…

J'ai lu que la FNAC déclarait qu'elle ne commercialiserait plus de CD en 2010. Si c'est exact, que peut-on penser de l'évolution du marché après une telle mesure (elle-mème probablement motivée par une étude de marché assez poussée, la FNAC, c'est pas des rigolos...)?
Que répondre à des collègues qui, ici ou là, posent la question de savoir si l'on peut ouvrir un secteur discothèque actuellement ?
Quid de leur engagement auprès des élus qui leur posent la question ?
Est-ce que la réponse générique "oui, ça vaut toujours le coup" n'est pas un peu facile, vertueuse mais irresponsable ? Sinon quel secteur "musique" proposer qui ne serait pas suspendu au seul devenir du CD ? Proposer uniquement du chargement ou de l'écoute de fichiers numeriques n'est pas encore vraiment possible.

En bref, qu'est-ce qu'on fait quand, dans une telle periode de transition, on doit, à l'aube de l'ouverture d'une mediathèque, argumenter, s'engager auprès des élus ? Que faire si la DRAC déconseille ce projet (sans proposer d'alternative) en proposant de faire porter l'effort budgétaire vers le DVD et "d'attendre" les évolutions technologiques et légales pour le reste. On ouvre sans secteur musique ?
Merci de me répondre, ça en aidera beaucoup d'autres aussi.

Hervé a dit…

Je suis un visiteur régulier de la section musicale de ma médiathèque, et je suis convaincu, aujourd'hui en tous cas, que la visite sur place reste incomparable avec la navigation sur Deezer ou MusicMe ; je passe de bac en bac, par des entrées "thématiques", je feuillette une revue musicale tout en jetant un œil sur les dernières acquisitions, ou sur le choix des discothécaires, etc.
Je viens de me prêter à un petit test d'interrogation sur 3 catalogues de Bibliothèques publiques, dont celui de la BPI, et là, j'ai l'impression que nos collections musicales ne font l'objet d'aucune indexation !?...
J'effectuais une recherche sur les musiques / artistes du Sénégal ; en tapant Sénégal comme mot-clé, je pensais retrouver entre autre les deux "chefs de file" que sont Youssou N'Dour et Isamel Lô. Et bien il n'en est rien ; si les collections proposent en effet des albums de ces artistes, je ne les retrouve pas dans les résultats de ma recherche. Lorsque je consulte les notices, aucune indexation n'apparaît... Est-ce là une pratique courante, ou bien suis je tombé sur 3 exceptions ?
Le traitement des collections (au risque de paraître un peu rétrograde), en particulier l'indexation, ne fait il pas partie de ces plus values qui devraient permettre, pour un temps au moins, de co-exister avec des plateformes telles que Deezer ou MusicMe, dont le traitement documentaire semble être absent ?

JC Brochard a dit…

Anonyme,
Prévoir un secteur musique (et surtout pas discothèque) dans un projet de médiathèque actuellement, on aura compris que j'en soutiens le principe. Par contre, qu'il y ait du travail pour en convaincre les tutelles, ce n'est pas étonnant (et ce problème risque de se poser à terme plus largement pour les projets de médiathèques).
Je n'ai évidemment pas de solution miracle à proposer. Un projet qui s'intéresserait la musique ou l'audiovisuel au sens le plus large, avec ses connexions avec la littérature, les arts graphiques ou l'histoire sociale, serait sûrement plus convaincant.
Proposer des CDs encore aujourd'hui ça peut se concevoir. Des DVDs aussi, en sachant que ce support n'a probablement pas un avenir moins bouché que le CD : la disparition des disquettes a symboliquement été annoncée par la sortie d'un Macintosh sans lecteur; en 2008, on vend par milliers des netbooks sans lecteur de DVD...
Evidemment, pour supplanter le prêt de CDs, le problème que pose la fourniture de musique en fichiers c'est que pendant une période transitoire indéterminée, on ne peut proposer que des solutions expérimentales, et "vendre" des expériences ou des tentatives à une collectivité, ce n'est pas facile !
J'insiste, mais la possibilité d'une ouverture à la pratique musicale, avec une salle et/ou un auditorium pour écouter ou faire de la musique me parait vraiment intéressante.

JC Brochard a dit…

Hervé,
Merci pour ces informations et commentaires. Pour plus de détails, j'en profite pour signaler votre billet d'aujourd'hui sur ce sujet.
Je suis également convaincu, bien sûr, qu'un échange avec un bibliothécaire compétent et passionné est irremplaçable.
Je suis d'accord aussi sur l'intérêt du traitement des collections et de l'information qu'on propose dessus. Par exemple, Epernay catalogue désormais ses CDs au niveau du titre et pas du disque. Il est évident que ça apporte un plus énorme pour l'usager qui recherche des informations dans le catalogue. Revers de la médaille, le catalogage d'un coffret de 4 CDs avec 100 artistes différents prend un temps énorme. Et comme ce catalogage est effectué en local, on retrouve les problèmes de coût exorbitant du catalogage que j'ai déjà évoqués...

JC Brochard a dit…

Je ne le savais pas, mais ce billet aurait presque pu être rédigé en réponse au sujet de composition du concours externe 2008 de bibliothécaire territorial, une citation de Xavier Galaup, "Il me parait dangereux en terme de défense de la diversité culturelle que de vouloir abandonner la musique en bibliothèque sous prétexte qu’internet l’a tuée".
On trouve ici le plan proposé par Biblioroots, un candidat qui a vraiment eu à plancher sur ce sujet.

mediamus a dit…

Bonjour,
Merci pour ce billet qui exprime des interrogations partagées par beaucoup d'entre-nous.

Quelques réflexions dans le désordre :
1)Si le marché du disque baisse, inversement la pratique de l'écoute de la musique augmente avec les nouvelles générations. source : Source : Ministère de la Culture, revue Prospective 2007-3,
Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques. Donc : un public amateur de musique a sa place en bibliothèque.

2) Si on considère le taux de rotation des documents. On constate que le taux de rotation des disques compacts est supérieur à celui des documents imprimés. Même si les prêts se focalisent sur les nouveautés. Mais il en va de même avec les livres, non ?

3) Les sites musicaux en ligne aussi abondants et performants soient-ils ne constituent pas encore une panacée universelle.
Pour citer Arsène Ott
« A ce jour, dans le domaine de la musique numérique, aucune des offres documentaires à destination des bibliothèques, qu'elles aient un caractère commercial plus (le coût d'un abonnement à Cristal Shop, Naxos, Bibliomédias, Dogmazic...) ou moins affirmé (les services d'accès à Deezer, MySpace, Last.fm...), ne peuvent prétendre être représentatives de la filière musicale dans sa globalité et sa diversité, pas plus qu'elles ne peuvent refléter les orientations documentaires qui se sont exprimées jusqu'ici dans les fonds physiques des bibliothèques. »
Arsène Ott, Les « natifs bibliothèques » s'attachent à la
musique, ACIM, bulletin électronique, n° 2, sept. 2008

A cet égard il est intéressant de se souvenir de l'article 7 de la charte des bibliothèques :
"Les collections des bibliothèques des collectivités publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, de l’ensemble des connaissances, des courants d’opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d’opinion, dans le respect de la Constitution et des lois. Elles doivent être régulièrement renouvelées et actualisées. Les collections des bibliothèques universitaires et spécialisées doivent également répondre aux besoins d’enseignement et de recherche des établissements en cohérence avec les fonds existants et avec ceux des bibliothèques appartenant au même ensemble ou à la même spécialité. D’une manière générale, chaque bibliothèque doit élaborer et publier la politique de développement de ses collections et de ses services en concertation avec les bibliothèques proches ou apparentées."


... le sujet sera abordé demain jeudi 9 octobre à la journée d'étude organisée à la bibliothèque Buffon
http://www.acim.asso.fr/spip.php?article251

Nicolas

JC Brochard a dit…

Nicolas,
Merci pour ces informations et précisions argumentées.
"un public amateur de musique a sa place en bibliothèque" et inversement la bibliothèque doit conserver une place particulière pour la musique, c'est bien le sens de mon propos.
Pour le point 2), c'est vrai que certaines interrogations et inquiétudes sont encore prospectives, mais c'est bien maintenant qu'il faut anticiper les évolutions, comme vous tentez de le faire à Dole.
J'espère que les échanges de demain à Paris seront enrichissants.

mediamus a dit…

La journée d'étude organisée à la bibliothèque Buffon le 9 octobre était très intéressante. N compte-rendu devrait être publié par les organisateurs dans les prochaines semaines.
Voici l'adresse où l'on peut consulter le document de présentation que j'avais préparé pour l'occasion et dans lequel je fais référence à votre article.
http://www.acim.asso.fr/spip.php?article255
Nicolas