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lundi 22 février 2010

La politique d'ouverture (suite)


Comme je l'expliquais il y a un peu plus de deux ans dans un premier billet consacré à cette question, le problème avec la question des horaires d'ouverture des bibliothèques c'est que, comme il s'agit d'un sujet apparemment simple, quantifiable, qui concerne les usagers (donc les électeurs), les politiques, quand ils s'en emparent, ont tendance à réduire la question des bibliothèques à ce seul aspect.
Dernier exemple en date, le "plan pour le renouveau des bibliothèques universitaires", présenté par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à Bobigny le 17 février 2010, qui, sur le site du ministère lui-même mais aussi dans l'article paru en avant-première dans le-quotidien-du-soir-qui-parait-la-veille-à-midi, est réduit à cette seule accroche : "Des bibliothèques universitaires ouvertes plus longtemps", alors que le-dit plan aborde également des sujets tels que la licence globale pour la documentation électronique, la politique documentaire universitaire et la gouvernance des BU et même la promotion de nouveaux modèles de bibliothèques centrés sur les usagers. Mais ce qui est mis en avant, très largement, c'est bien la seule question des horaires d'ouverture.

L'inspiration pour cet aspect du plan vient d'en haut. Concernant les bibliothèques, lors de son discours à l'occasion des vœux au monde de l’éducation et de la recherche le 11 janvier 2010 le Président de la République a répété, quasiment mot pour mot à trois ans d'écart et au même endroit, le plateau de Saclay, ce que le ministre-candidat Nicolas Sarkozy avait dit le 18 janvier 2007. La seule différence étant, cela n'a pas été suffisamment souligné, que cette fois-ci son propos était clairement restreint aux campus d'excellence susceptibles de bénéficier de mesures financées par le "grand emprunt" :  "l’emprunt permettra de financer l’émergence de pôles d’excellence, qui rassembleront universités, grandes écoles et organismes de recherche dans des campus de rang mondial, capables de rivaliser avec les meilleures universités étrangères, et ayant les mêmes standards d’excellence, notamment sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur : des bibliothèques universitaires modernes, ouvertes 7 jours sur 7, oserai-je le dire, de 8h à 22h. Franchement, je n’ai pas l’intention que l’on fasse des bibliothèques universitaires pour qu’elles soient fermées le week-end et pas ouvertes le soir."

Alors, que nous propose le plan de rénovation pour ce qui concerne les heures d'ouverure des BU ?
Deux choses, principalement :

Outre les approximations inhérentes à l'exercice de l'état des lieux proposé (2 erreurs rien que pour Reims, dont les 3 BU Santé, Sciences et Droit-Lettres ouvrent respectivement au maximum 68h, 64h et 64h), la première grande innovation est la création d'un label "NoctamBU" pour les BU ouvrant 65h et plus.
Le moins qu'on puisse dire c'est que l'ambition ainsi affichée est des plus modestes puisqu'une BU ouvrant de 8h à 20h du lundi au vendredi et 5 heures le samedi pourra l'obtenir.
A mon sens, si l'on voulait vraiment parler d'ouverture tard en soirée ou de nuit, il faudrait ouvrir jusqu'à 22h en semaine, ce qui porterait le minimum pour l'obtention du label à 75h hebdomadaires, à moins qu'on envisage de sacrifier l'ouverture matinale pour les lève-tôt en n'ouvrant les BU qu'à partir de 10h...
L'information fournie par le dossier de presse n'est pas très détaillée sur les modalités envisagées pour le soutien aux universités souhaitant étendre les horaires d'ouverture mais une chose positive est à souligner : contrairement aux annonces précédentes, qui n'évoquaient que l'emploi étudiant comme levier pour développer les ouvertures tardives, il est question ici d'un arrêté permettant de rémunérer le personnel en heures supplémentaires pour aider à la mise en place des horaires allongés. Soit. Il y aussi les réorganisations internes et les nouvelles répartitions de charges de travail, mais à un moment ou un autre il faudra bien admettre qu'on ne pourra étendre durablement et de façon conséquente les heures d'ouverture des bibliothèques sans créer des postes supplémentaires, permettant par exemple de créer deux équipes d'accueil, une du matin et une du soir.

L'autre grande annonce concerne la "première urgence" décrétée pour les vacances de Pâques, l'idée étant de débloquer des crédits pour permettre à toutes les universités qui le souhaiteront d’ouvrir pendant toutes les vacances de Pâques 2010 au moins deux de leurs bibliothèques jusqu’à 20h au minimum, ceci afin de "répondre le plus rapidement possible aux besoins des étudiants et de leur permettre, en vue de leurs examens de mai et juin prochains, de bénéficier des meilleures conditions de travail possible".
Soit, encore. La justification de l'urgence spécifiquement pour les vacances de Pâques, on serait bien en peine de la trouver si on ne se souvenait pas que la ministre est aussi une candidate en campagne pour les élections régionales et que cette mesure a pour avantage de lui permettre d'annoncer quelque chose d'apparemment concret dès maintenant.
Pour le reste, cette mesure spécifique, en imaginant qu'elle soit appliquée sur tous les campus de France ce printemps, permettrait au moins de démontrer par l'absurde que, même si les bibliothèques sont par excellence un lieu de services et de sociabilité au sein des universités, elles ne sauraient être en mesure de faire vivre à elles toutes seules un campus mort par ailleurs pour cause de vacances.

Voyons ce qui s'est passé à Reims la semaine dernière, car nous étions justement au moment où la ministre annonçait son plan en pleines vacances universitaires d'hiver .
Pour cette semaine, comme pour toutes ces périodes où la BU reste ouverte pendant les vacances (nous fermons 4 semaines en été et 2 en fin d'année), nous étions ouverts en "horaires réduits" de 13h à 18h.
Voici les conditions dans lesquelles la BU était ouverte :
- Services administratifs et pédagogiques du campus fermés
- Restaurant universitaire fermé
- Pas de navette entre les campus et avec la Présidence (C'est les vacances)
- Nécessité d'enjamber la barrière du campus (ou de faire un long détour) pour prendre son poste le matin car la conciergerie est aussi en horaires réduits (pas toujours respectés par rapport à l'affichage)
- Accès non déneigés le lundi (C'est les vacances, et il n'y a plus de sel)
- Personnnel absent non remplacé (Un système de mutualisation propre à l'université permet de remplacer à mi-temps les agents absents plus de deux semaines... mais pas pendant les vacances car l'université est fermée...)
Dans ces conditions, et accessoirement vu l'état de certains bâtiments, on n'est pas surpris qu'un Papa qui a commis l'erreur d'amener son fils "repérer" l'université un lundi matin de vacances ait laissé échapper un "C'est Beyrouth !"...
Et avec tout ça, nous avons enregistré en tout et pour tout 1223 entrées en une semaine, soit de 201 à 284 entrées par jour...

J'ai pris l'exemple des vacances car c'est sur cette période que le plan annonce une "urgence", mais la situation est à peu près équivalente pour les semaines où nous proposons une "ouverture étendue" de 19h à 20h du lundi au jeudi. Sachant qu'il n'y a pas de résidence à proximité du campus et que le RU est fermé le soir, nous avons compté l'automne dernier et en 2008/2009 une moyenne de 12 personnes présentes dans  les 6000 m² publics de notre bibliothèque avant la fermeture à 19h55 (de 2 à 34), contre 15 à 108 présentes à 19h, avec en tout et pour tout une moyenne de 17 nouvelles personnes entrant dans la bibliothèque entre 19 et 20h.

Je sais bien qu'il s'agit d'un campus d'une "petite" université de province, mais quel que soit le lieu il me semble clair que la réflexion sur les services offerts aux étudiants le soir et pendant les vacances ne peut pas se focaliser uniquement sur les horaires des BU, mais doit porter également sur les autres services essentiels et sur la mise en place de permanences administratives et pédagogiques (A quand un prof tuteur de permanence par matière pour permettre aux éudiants de bénéficier des meilleures conditions de travail possible pendant les vacances ?).

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec vous !
Se méfier des effets d'annonce avant les élections, cela sent son populisme...

Les horaires d'ouvertures sont l'arbre qui cache la forêt !

Père Duchesne

PS : j'adore l'image d'illustration... excellent

JC Brochard a dit…

Père Duchesne,
Puisque vous en parlez, j'avais trouvé d'autres photos qui me plaisaient encore mieux ( et ), et bizarrement il s'agissait d'une autre bibliothèque de Mauritanie, à Chinguetti, mais la reproduction étant expressément interdite, je me suis abstenu.