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jeudi 29 novembre 2007

La politique d'ouverture...


...ou autrement dit, le projet politique pour les bibliothèques réduit à l'extension des horaires d'ouverture.

Le monde des bibliothèques a bien du mal à intéresser le pouvoir à son sort. Pour preuve, la loi sur les bibliothèques réclamée par la profession depuis des décennies, plusieurs fois annoncée, n'a jamais vu le jour.
Chance, ou malchance, notre exécutif s'intéresse depuis quelques mois aux bibliothèques. Chance, parce que cet intérêt est susceptible de faciliter l'obtention de moyens, notamment pour que les bibliothèques s'adaptent à la situation nouvelle générée par le développement des technologies de l'information. Malchance, est-on en droit de penser, parce que l'exécutif ne s'intéresse aux bibliothèques que par l'un des petits bouts de la lorgnette, l'extension des horaires d'ouverture.
On connait la propension du pouvoir en place à préférer les mesures visibles, susceptibles de fortes retombées médiatiques, aux réformes de fond, ingrates et longues à mettre en oeuvre.
Avec l'idée d'augmenter les horaires d'ouverture des bibliothèques, lancée il me semble par le candidat Nicolas Sarkozy lors d'un discours au Plateau de Saclay le 18 janvier 2007, on a trouvé une mesure visible, facilement mesurable et difficilement réfutable sur le principe. Comme depuis, on y a ajouté comme corrélaire l'amélioration de la situation sociale des étudiants en proposant que l'extension des horaires soit facilitée par un emploi accru de moniteurs-étudiants, on a là un effet "je fais d'une pierre deux coups" qui renforce l'apparente évidence et la force symbolique de la mesure envisagée. J'attends impatiemment de voir les images du Président de la République bippant le premier document emprunté dans une BU symbolique un de ces prochains dimanches matin...
Alors, comment répondre à cette exigence portée par l'exécutif mais aussi par les tutelles administratives (universités) et politiques (collectivités), et qui concerne aussi bien les bibliothèques universitaires que le réseau de lecture publique ?(Christine Albanel, dans sa communication en conseil des ministres sur la politique du livre, a proposé pour le soutien au développement de la lecture publique, sans plus de détails, des expérimentations visant à encourager l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques par le recours au travail des étudiants, et plus généralement par la mutualisation des services des bibliothèques universitaires et des bibliothèques de lecture publique).
La réponse n'est pas facile à trouver pour les bibliothèques françaises. Cela fait des années que les études pointent la faible amplitude horaire de leur ouverture, comparée à celle d'autres pays, sans que rien ou presque ne change. Les explications données pour cette faiblesse tournent généralement autour du manque de personnel et de moyens pour assurer un service étendu. Le candidat Sarkozy s'en est d'ailleurs ouvertement moqué dans son discours sur sur son engagement pour la Culture le 4 avril 2007 ("Je veux que parmi les chantiers présidentiels, si je suis président de la République, le premier d’entre eux soit d’offrir à chaque grande université, dans chaque région, un campus de dimension européenne. Avec des choses invraisemblables comme des bibliothèques ouvertes le dimanche, - un truc à vous assassiner un candidat !").

Mais maintenant, les responsables de bibliothèques vont devoir trouver un moyen de répondre à leur tutelle qui leur dit, (je raccoucis et caricature, mais à peine) : Ouvrez plus, je vous dote en emplois étudiants supplémentaires pour ce faire, et peut-être aussi d'autres moyens supplémentaires, mais seulement si vous ouvrez plus.
Ouvrir plus pour ouvrir plus, même si ça ressemble à une formule à la mode ces temps-ci, ça n'a aucun sens. La vraie question est d'ouvrir plus, pourquoi pas, mais pour qui et pour proposer quels services ? La question "avec qui ouvrir ?" venant juste après...

Il me semble que c'est en faisant des propositions plus larges pour une offre globale de services que les bibliothèques pourront se sortir du "piège" de l'extension des horaires et s'en servir pour développer une véritable politique de services au public.
Après tout, le 18 janvier 2007, Nicolas Sarkozy appelait à "la constitution de bibliothèques universitaires accueillantes, agréables et ouvertes sept jours sur sept". Outre qu'en plus d'accueillantes et agréables, j'aurais bien aimé voir figurer dans la liste un mot du genre "utiles", on comprend bien que "constituer" des bibliothèques, ça vient normalement en amont de "ouvrir plus" des bibliothèques, et ça nécessite plus de moyens et de réflexion qu'une simple modification d'horaires.
Car la question qui se posera de toutes façons, c'est de décider quels services seront proposés à tel ou tel moment de la journée ou de la semaine.
Dans la bibliothèque où je travaille, nos horaires de base sont 8 h à 19 h du lundi au vendredi et 9 h à 12 h le samedi, assurés presque intégralement par le personnel titulaire (un vacataire étudiant à mi-temps nous a rejoints depuis septembre). Notre principe est d'offrir une gamme de services uniforme pendant notre ouverture, mais d'ores et déjà, la permanence de renseignement documentaire n'est assurée qu'à partir de 11 h en semaine et le prêt de salle ou d'ordinateur portable ne fonctionne pas après 17 h ou le week-end. Tout projet d'extension des horaires impliquera l'embauche de personnel supplémentaire et une réflexion sur la répartition du temps de travail du personnel titulaire dans la semaine.

J'ai interrogé mes collègues de promotion de l'ENSSIB pour en savoir un peu plus sur ce qui se pratique dans les bibliothèques qui ont des horaires atypiques, le soir, la nuit ou le week-end (un grand merci à eux pour leurs réponses détaillées et pertinentes !). La gamme d'options choisies pour assurer de tels horaires est très large et joue principalement sur deux curseurs : le niveau de services proposé et la quantité et le statut des personnels concernés.
Pour ce qui est des services proposés, ça va de la salle de travail chauffée, éclairée et disposant d'un accès aux réseaux informatiques jusqu'au fonctionnement normal de la bibliothèque avec l'ensemble de ses services.
Pour le personnel, cela va de la bibliothèque sans aucun personnel à la présence plus ou moins importante de personnel titulaire, en passant par un camaïeu plus ou moins prononcé de moniteurs-étudiants et de vigiles.

Concrètement, ça donne, à travers quelques exemples :
  • Tout près d'ici, la bibliothèque du Pôle Lorrain de Gestion à Nancy, installée dans un bâtiment gardienné le soir, qui est ouverte jusqu'à 21h30 du lundi au vendredi.
    L'ouverture de 17h à 21h30 est assurée par deux équipes de deux vacataires étudiants. Des cadres peuvent être présents dans les locaux, mais ils ne participent pas au service public.
    La fréquentation le soir n'est pas négligeable, d'autant plus que la bibliothèque manque de places en journée, et le prêt est assuré jusque 21h30.
    Il me semble que la plupart des BU parisiennes ouvertes tardivement ont adopté un fonctionnement de ce type, avec en grande majorité du personnel vacataire le soir.
  • Un peu plus à l'est, à Strasbourg, la Bibliothèque Nationale et Universitaire est ouverte du lundi au samedi jusqu'à 22h (au total 72h d'ouverture hebdomadaire).
    Les permanences de 19h à 22h sont assurées totalement par des
    moniteurs étudiants ou des vacataires. Les seuls services assurés sont l'accès aux salles et aux postes informatiques (pas de communication d'ouvrages, pas de prêt, pas de renseignement bibliographique, pas d'inscription,...). La sécurité est assurée par un vigile (société de gardiennage externe) et par le concierge.
    On ne parle pas encore d'ouvrir le dimanche, mais la question de l'extension des permanences des titulaires sur ces horaires est d'ores et déjà posée.
  • Tout près de là, de l'autre côté du Rhin, on trouve la bibliothèque de l'université de Karlsruhe, ouverte 24h sur 24 et 7 jours sur 7 depuis le printemps 2006. Comment ? Grâce à l'emploi de la technologie RFID et à la présence de vigiles. La nuit, seuls les titulaires d'une carte d'inscription valide peuvent entrer. Un film de présentation est disponible ici.
    Comme l'université et la presse s'en félicitent, les étudiants ont voté avec leurs pieds pour ce système : un triplement de la fréquentation avec un million de visiteurs en dix mois pour la nouvelle bibliothèque, dont 25% entre 19h et 9h et 10% le week-end. En moyenne, 30 à 40 personnes sont présentes en pleine nuit et les plus matinaux des visiteurs arrivents vers 4h30...
  • Les bibliothèques nord-américaines (canadiennes et etats-uniennes) sont souvent citées en exemple. Pour l'énorme campus de l'Université de Cornell, il y a une vingtaine de bibliothèques. Les plus grandes sont ouvertes jusque 23 h ou 2 h du matin. La Uris Library, principale bibliothèque de premier cycle, est ouverte 24h sur 24 du lundi au jeudi, avec des services réduits à ceux d'une salle de travail avec accès aux ordinateurs de 2h à 8h du matin.
    Pour les services de référence et de prêt, des étudiants prennent le relais du personnel habituel de la bibliothèque de 22h à 2h.
En tout cas, quelles que soient les solutions envisagées, ce qui est certain c'est que, à l'injonction d'ouvrir plus, les bibliothèques ne pourront pas se contenter de répondre, "mais les services proposés vont être dégradés" (surtout si elles n'ont pas de politique de services clairement affichée) ni "nous n'avons pas assez de personnel qualifié pour assurer ces ouvertures" (surtout si, comme ça se pratique, le personnel le plus qualifié ne participe pas ou quasiment pas à l'accueil du public). Et ce qui est sûr, c'est qu'elles ne pourront plus rester longtemps sans réponse face à la demande qui est désormais clairement exprimée par leur tutelle.

Ajout de mars 2010 :
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10 commentaires:

Anonyme a dit…

La bibliothèque dans laquelle je travaille est ouverte du lundi au vendredi de 8h à 20h et le samedi de 9h à 12h30. La solution choisie par la direction : 2 contractuels (1 pour remplacer la titulaire partie vers d'autres aventures) en horaires décalés et des moniteurs étudiants pour palier les absences, renforcer les permanences au public de 17h à 20h et faire les samedi matin!

Anonyme a dit…

Bonjour.
Se réfugier derrière une offre de services "réduite" pour ne pas ouvrir plus, c'est comme si un restaurant fermait ses portes au motif qu'à partir d'un certain moment, il n'y a plus de plat du jour...
Cela me semble vraiment un argument totalement irrecevable...
dbourrion

hubert guillaud a dit…

Ouvrir à d'autres horaires, c'est toucher un autre public bien souvent, auquel proposer de nouvelles animations ou de nouveaux services. Cela suppose aussi de regarder la fréquentation sur les plages horaires existantes et se rendre compte où se concentre la demande pour mieux y répondre.

Pitseleh a dit…

Bonsoir,

Travaillant dans une médiathèque ouverte plus de 40h par semaine, je constate pourtant que le public qui nous rend visite le soir ou le weekend est... le même que les autres jours, si ce n'est quelques vagues étudiantes en fonction des périodes de partiels. Cela dit je ne doute pas (et j'espère surtout) que les mêmes causes produisent des effets différents ailleurs.

Seul petit inconvénient : les vacataires ne suffisent plus à remplacer les 36% (série en cours) du personnel ayant plié bagages sans être remplacés. Et après avoir tiré sur la corde autant que possible, nous sommes actuellement contraints de fermer des services en cas de trou béant dans le planning. En attendant mieux.

JC Brochard a dit…

Je n'ai pas répondu individuellement à chacun des commentaires ci-dessus, mais ces témoignages confirment un des aspects de ce que j'essayais d'exprimer dans le billet : la question des horaires d'ouverture est indissociable de réflexions plus larges sur l'organisation, le personnel, le budget, la politique de services...
On ne met pas en place une nouvelle politique d'horaires en claquant simplement des doigts, mais c'est quand même cette demande que les tutelles vont probablement formuler prioritairement aux bibliothèques dans les prochains mois...

JC Brochard a dit…

Allons bon, à l'occasion de ses voeux aux Forces de la Nation, le Président de la République a de nouveau évoqué l'ouverture des bibliothèques le dimanche, mais cette fois-ci pour servir d'argument en réponse aux protestations - ô combien justifiées - de ceux qui lui reprochent d'oublier qu'il préside une république laïque :
"Je sais qu'on m'accuse beaucoup de trop m'intéresser à la religion mais je pense qu'on peut respecter ceux qui veulent aller à la messe et ouvrir les bibliothèques le dimanche. Ce n'est pas absolument contradictoire", a-t-il estimé. "Je ne mets pas en cela gravement en cause la laïcité".
Via Le Monde et Reuters.

Yvonnic a dit…

Il semble bien que l'augmentation des heures devient une question purement idéologique, et non sous-tendue par une politique claire de services. La majorité de vos réponses montre bien que le "bénéfice net" des inflations horaires systématisées est faible : vacataires,moniteurs etudiants, plannings troués = fermetures,demandes emanant des tutelles (elles devraient logiquement émaner de nous, non?)

Il semble bien que cette question necessite une evaluation precise,au moins en BM, notamment de l'utilisation des créneaux existants, comme le dit Hubert Guillaud,ainsi qu'une evaluation des resultats que ces pratiques d'élargissement, qui existent déja,ont eu ou pas sur des choses precises : nouveaux lecteurs ou confort suplementaire pour les lecteurs existants ? Davantage d'emprunts ?(le lecteur deviendrait boulimique parce qu'il peut venir plus souvent ?)augmentation de la fréquentation des non-emprunteurs ? (pourquoi pas, et comme ce sont nos nouveaux public, allons-y voir de plus près)

Sortir donc des déclarations d'intention, du débat ideologique et soupçonneux, voire culpabilisteur, par une évaluation systematique tenant compte des situations locales et demographiques.

Cela evitera notamment que l'on finisse par imposer des mesures inefficaces ou impraticables à des BM de villes petites ou moyennes au nom de la necessité (evidente, celle-ci parce que base sur une demande exprimée depuis longtemps par l'utilisateur majoritaire) d'élargir les horaires des BU.

Les tutelles s'empareront evidemment du discours le plus globalisateur .

Pas d'accord avec dbourrion . Denoncer une offre de services réduite n'est pas "se réfugier". ça, c'est le discours soupçonneux vis à vis d'éventuels collègues qui ne voudraient pas s'investir etc...), et ne pas reconnaitre que sans plat du jour on fait bien du service minimum, du wagon de troisième classe, c'est bien du discours idéologique : peu importe les nuances , il faut ouvrir coute que coute, c'est une question de principe.

Il est recommandé au niveau national qu'à une heure publique corresponde une heure interne. Sinon, on ouvrira effectivement plus pour proposer moins. C'est mathematique.Quand on impose brutalement 27h d'ouverture à une equipe de 3 personnes qui galère déja pour dégotter du temps interne, croyez-vous que la collègue va continuer longtemps à accueillir le public à trois ? Non. La parade est trouvée, et depuis lulure : certains iront en interne (au boulot, pas zau refuge...), et on accueillera moins nombreux, moins souriants aussi, moins disponibles, surtout sur les créneaux "usine". Et ça se passe déja comme ça aujourd'hui !

Ce qui n'empechera pas quelques rigolos de continuer à nous pondre à la chaine de belles chartes d'accueil, des Démarches qualité et autres fariboles citoyennes à la mode, mais sans application pratique.

JC Brochard a dit…

On a beau tourner les choses dans tous les sens : même si on réorganise les services, même si on trouve des gains de productivité, à un moment ou un autre, élargir de manière conséquente les horaires d'ouverture d'une bibliothèque ça demande des moyens, notamment en personnel (et pas seulement en personnel vacataire).
Et un projet de cette ampleur demande de la concertation et un minimum de consensus.
La Ville de Vincennes n'ayant pris en compte aucun de ces deux points, une bonne partie du personnel de ses bibliothèques a entamé des actions de grève depuis un mois maintenant, avec le soutien d'une partie du public, qui a signé leur pétition, comme le relate Vincennes Hebdo dans son édition du 14 juin.
Malheureusement, il semble bien que le conseil municipal s'apprête à voter la modification des horaires à moyens constants, sans avoir véritablement engagé de dialogue avec le personnel gréviste...

Anonyme a dit…

Bonjour

Je cherche d'urgence un poste en Alsace, en bibliothèque ou centre de documentation. Je suis actuellement en Normandie et je ne connais pas bien la région. Je ne sais plus ou postuler, quelqu'un aurait-il des contacts là bas ou des infos sur un possible recrutement ?
D'avance, merci.
t.sylvia5@voila.fr

JC Brochard a dit…

Bonjour,
Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais mon premier conseil serait de prendre contact avec les groupes régionaux de l'ADBS et de l'ABF.
Pensez aussi à consulter les sites compilant des annonces d'emploi en bibliothèque, comme Bibliofrance, Biblioemplois et Enssibase.
En vue d'un éventuel remplacement, n'hésitez pas non plus à envoyer des candidatures spontanées aux grands établissements.