Si on parlait d'argent ?, c'est le thème du prochain congrès de l'ABF mais c'est aussi un sujet éminemment d'actualité dans les universités, en cette période de crise économique et de bouleversement institutionnel avec la loi L.R.U. On vit plus globalement une époque formidable où, même s'il faut pincer pour le croire, on a institué une bourse au mérite (d'un montant de 800 € par an) pour les lycéens ayant de très bons résultats au brevet des collèges. Inutile de préciser, l'expérience le prouve, que cette mesure désoriente les élèves méritants qui n'ont pas la "chance" d'être boursiers et met potentiellement une énorme pression sur les résultats scolaires des boursiers.
Côté universités, nous avons cru avec quelques collègues à un poisson d'avril quand nous avons appris les mesures mises en place par l'université de Toulouse 1 pour ce qui concerne les droits de bibliothèque. Malheureusement, il ne s'agissait pas d'une blague.
Côté droits d'inscriptions, on sait que l'UNEF dénonce depuis plusieurs années certaines pratiques qu'elle estime non réglementaires. Je précise tout de suite que ce qui est mis en place à Toulouse 1 semble rentrer "dans les clous" de la réglementation.
Le taux des droits de scolarité dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est fixé chaque année par un arrêté. Le dernier en date, celui du 30 juillet 2009, stipule que dans son article 19 que "La part du droit de scolarité affectée au service commun de documentation est fixée par le conseil d'administration de l'établissement. Elle ne peut être inférieure à 30 €.".
"Ne peut être inférieure", j'en conclus donc qu'un CA d'université qui souhaiterait augmenter les recettes de son SCD à la source, directement auprès de ses usagers, est tout à fait en droit de fixer de manière générale un taux supérieur à 30 €, sachant que les boursiers sont exemptés du paiement des droits d'inscription (exemption compensée par l'Etat).
Ce n'est pas la voie qui a été choisie par Toulouse 1, si l'on en croit le Règlement des bibliothèques, tel qu'il a été adopté par le Conseil de la documentation le 19 juin 2009 : "Les étudiants de l'Université Toulouse 1 Capitole qui s'acquittent des droits facultatifs de bibliothèque bénéficient de droits de prêt étendus."
Voilà, au moins c'est concis et en une phrase tout est dit : pour augmenter les ressources propres du SCD il a été décidé de "marchandiser" l'un de ses services de base, celui du prêt de document, et de vendre des "droits de prêt". Ce n'est pas précisé dans le règlement, mais je suppose, vu l'esprit de la chose, que les boursiers ne sont pas dispensés du paiement de ces droits facultatifs. Dans le règlement, il est précisé par contre que "Les prestations et les tarifs sont présentés dans le Guide du lecteur de chaque bibliothèque.". J'ai consulté tous ces guides et je n'y ai pas trouvé les tarifs d'inscription. Seule la page concernant le prêt de la bibliothèque de la Manufacture des Tabacs précise que le tarif pour les lecteurs extérieurs particuliers et de 42 € et de 500 € pour les entreprises.
En fait, comme à Sciences Po Toulouse, qui pratique également les frais facultatifs pour sa bibliothèque, je crois que la somme demandée aux étudiants de Toulouse 1 qui le souhaitent est de 15 €, en sus donc des 30 € de base. Et qu'est-ce qu'on leur propose aux étudiants contre cette somme de 15 € ? Et bien, puisque qu'on n'achète rien sans rien, on leur propose tout simplement d'augmenter leurs droits à emprunter des documents. Grosso modo, à la bibliothèque de l'Arsenal, qui doit être la principale du réseau, les possibilités d'emprunt de document sont au minimum doublées pour ceux qui se sont acquittés des droits facultattifs. Sachant que pour les étudiants en Licence le service de base ne permet d'emprunter que deux documents à la fois, on comprend que de nombreux étudiants soient tentés d' "acheter" la possibilité d'en emprunter trois de plus.
Franchement, avec une telle conception du service public, je trouve dommage que l'université de Toulouse 1 s'arrête en si bon chemin. Si elle veut continuer de renforcer les ressources propres de son SCD, voici quelques pistes, cumulables entre elles bien sûr, qui pourraient très vite rapporter beaucoup :
- La dernière édition parue des manuels et autre ouvrages de référence est réservée aux étudiants s'acquittant de 20 € supplémentaires.
- Pour 50 € par an, un fauteuil Pullman vous est réservé à votre nom dans la bibliothèque de votre choix.
- Pour 200 € par an, l'accès à une salle de travail en groupe de 4 places maximum est garanti, avec autorisation de téléphoner et de se restaurer sur place.
- Pour 400 € par an, vous êtes pris en charge dès l'entrée de la bibliothèque par un moniteur étudiant, qui porte vos sacs, va chercher les documents pour vous dans la bibliothèque et enregistre vos prêts, sert le café et vous évente en cas de besoin (J'ai cru comprendre qu'il arrive qu'il fasse chaud à Toulouse). Cette mesure a en outre l'avantage de développer l'emploi étudiant, permettant ainsi aux étudiants financièrement moins aisés de financer leurs droits de bibliothèque.
- Pour 600 €, mais à ce tarif-là je ne suis pas sûr qu'il y aura beaucoup de clients, un numéro de téléphone vous est communiqué qui vous permettra 7 jours sur 7 et 24h/24 de joindre un bibliothécaire qui vous fournira toutes les informations dont vous avez besoin et rédigera vos devoirs.
11 commentaires:
Encore une fois, la documentation électronique est oubliée ! Un petit paybox au niveau du reverse-proxy, ça doit être possible !
Belle illustration de l'égalité de traitement face au service public en tout cas
Je trouve tes projets de tarification assez peu ambitieux. 600 € pour du 7/7, 24/24... En y réfléchissant, c'est d'autant plus scandaleux qu'on sait bien que ce qui coûte cher en BU, c'est la doc élec. Or, ce ne sont pas vraiment les étudiants qui ont l'usage le plus intensif de Science Direct: alors, pourquoi les faire payer eux?
Ce qui est sur, c'est que l'argent ne sert pas à payer des moniteurs pour élargir les horaires de l'Arsenal (56h par semaine...). Cela semble plus facile de faire payer les étudiants que... oups, devoir de réserve !
La doc élec. C'est vrai que, concentré sur le prêt de documents et l'accueil sur place, je l'avais oubliée. D'autant plus que, 30 € par an pour avoir la possibilité de télécharger, y compris de chez soi, un nombre quasi illimité d'articles, c'est gaspiller l'argent public. Il doit bien y avoir un moyen technique pour limiter le nombre de téléchargements au quotidien, sauf pour ceux qui auraient payé leur écot...
Olivier Tacheau apporte une information complémentaire édifiante à ce billet.
Il y a à mon avis une erreur d'analyse ici :
"Ne peut être inférieure", j'en conclus donc qu'un CA d'université qui souhaiterait augmenter les recettes de son SCD à la source, directement auprès de ses usagers, est tout à fait en droit de fixer de manière générale un taux supérieur à 30 €, sachant que les boursiers sont exemptés du paiement des droits d'inscription (exemption compensée par l'Etat).
Oui, le CA peut affecter plus de 30 euros au SCD, mais à l'intérieur d'une enveloppe fixée réglementairement (171 euros en licence, 231 euros en master, 350 euros en doctorat). Donc si on veut affecter 45 euros au SCD, il faut enlever 15 euros ailleurs, mais on ne peut pas faire payer 15 euros de plus à l'étudiant.
Alain Caraco
Bonjour,
Je pense que vous avez raison. Je m'étais fait cette réflexion car je savais que l'enveloppe globale des droits d'inscription était contingentée. J'avoue que je n'ai pas eu le courage d'étudier en détail l'ensemble des textes réglementaires concernés...
ce serait intéressant d'interroger un/une des élu/es de Toulouse qui enseigne à Sciences Po et promeut le projet de future bibliothèque tout numérique à 15OO places et 114 heures d'ouverture par semaine. mais le sait-elle ?
"Le sait-elle ?" Probablement pas. Étonnamment, surtout quand je vois les réactions autour de moi quand je parle de cette mesure, il ne semble pas qu'elle ait vraiment fait débat sur place. Ou plutôt, s'il y a eu débat, je ne suis pas parvenu à en trouver trace en ligne...
Intéressant... Joli cas d'école !!!
Ces 5 BU font-elles payer des droits spécifiques ? http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2010/04/11/quiz-cinq-bu/
Y a-t-il encore des étudiants qui empruntent des livres ?
Y a-t-il encore des étudiants qui lisent ?
Vieil article, mais je constate que la pratique est encore d'actualité. Entre temps, les universités de Toulouse ont mené une étude démontrant que l'emprunt en bib était un des facteurs de réussite en licence. Le "facturer" de cette manière me semble légèrement problématique si la BU a pour ambition de contribuer au succès des étudiants. Bref, c'est assez perturbant. Je n'insiste pas plus, parce qu'il faudra bien que je trouve un poste dans un an ;-)
Mathieu Saby
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